• UNE SOUFFRANCE EXTRÊME, à propos du film Marguerite B.

    Interview de Gabriel GONNET, réalisateur du film en 2001

    Extrait du dossier de presse

    Comment vous est venu l'idée du film Marguerite B.?

    J'ai réalisé deux films sur la violence dans les banlieues, j'ai pu recueillir de nombreux témoignages. Ce qui m'a frappé, c'est à quel point, il y a encore, aujourd'hui, beaucoup de non dit par rapport à la violence subie ou agie. Il y a beaucoup de discours sur la violence, mais on entend très peu les personnes directement concernées.

     

    Interview de Gabriel GONNET, réalisateur du film

    Extrait du dossier de presse 

    Comment vous est venu l'idée du film Marguerite B.?

    J'ai réalisé deux films sur la violence dans les banlieues, j'ai pu recueillir de nombreux témoignages. Ce qui m'a frappé, c'est à quel point, il y a encore, aujourd'hui, beaucoup de non dit par rapport à la violence subie ou agie. Il y a beaucoup de discours sur la violence, mais on entend très peu les personnes directement concernées.

    Le phénomène de la violence concerne d'ailleurs tout un chacun. Qui n'a pas vécu tel ou tel moment de sa vie comme une violence: telle ou telle humiliation, tel geste trop brusque, telle situation qui vous est imposée.

    Dans les témoignages que j'ai recueillis, la violence était omniprésente: qu'elle soit morale, que ce soit du harcèlement, de la violence subie qui engendre le plus souvent de la violence agie. Derrière cela, il y a une violence institutionnelle et sociale, qui provoque des frustrations.

    A l'époque de Marguerite, le vagabondage était un délit, des vols insignifiants pouvaient déboucher sur le placement dans une "maison". La correction paternelle permettait de se débarrasser avec l'accord du Juge de tel ou tel enfant qui dérangeait la famille. D'après nos sources, le vagabondage des filles comme la correction paternelle avait dans la plupart des cas pour cause l'inceste dans la famille. L'enfant de victime devenait coupable.

    Le livre de Béatrice KOEPPEL, Marguerite B. Une jeune fille en maison de correction, a été pour moi une révélation. Béatrice a su éviter une lecture de compassion, misérabiliste, pour s'intéresser à la façon dont Marguerite est perçue à la fin des années 40 et interpeller cette façon de penser. Elle met l'accent sur l'histoire d'une pupille qui débouche sur une incompréhension totale entre Marguerite et les éducatrices.

    Le besoin de raconter l'histoire de Marguerite, aujourd'hui, est une façon d'interroger notre manière de penser, aujourd'hui. Les termes de "sauvageon", de "démission parentale", des "cités" ou des "quartiers difficiles" ne sont elle pas des façons de reproduire des réflexes de classement du passé: "milieu défaillant", "moralité mauvaise", "hérédité malheureuse"...?

    UNE SOUFFRANCE EXTRÊME, à propos du film Marguerite B.

    Comment réagissez vous au personnage de Marguerite?

    Marguerite est un personnage fascinant, elle est intelligente et très lucide sur sa situation. Elle est attachante, en perpétuelle demande affective. Comme beaucoup d'adolescents en difficulté, elle s'exprime avant tout par des actes.

    Le relevé de sa biographie à Cadillac indique la répétition permanente des mêmes attitudes et des mêmes incidents. Tantôt "brillante, participative, éveillée", elle passe par des phases de dépression (ce mot n'est pas employé à l'époque) et de réactions très violentes, contre elle même et contre les éducatrices, dans tous les cas, Marguerite, se met volontairement en échec.

    Ce processus à répétition, aboutit à une violence contre elle même qu'elle soit physique, ou morale. Cela n'est pas lisible à l'époque, où l'on parle de "simulation et de chantage affectif". Pourtant Marguerite exprime très simplement une souffrance extrême. Elle témoigne, également de tous les symptômes, d'un comportement suicidaire.

    Cette souffrance est insuffisamment prise en compte. La méthode consiste à couper l'enfant de son milieu pour le "rééduquer". Le fait qu'elle ait battu sa mère éclaire Marguerite d'une connotation très négative, elle est imprévisible, "fantasque, à surveiller sérieusement".

     La réaction des éducatrices et de la Directrice va être, à nouveau, de l'isoler, à tel point que son séjour à Cadillac se termine dans une terrible solitude entre Marguerite et celle qui reste son dernier interlocuteur: la Directrice. Ce sont deux solitudes, face à face.

    La direction de l'éducation surveillée, très novatrice pour l'époque suit pourtant la situation. Aucune médiation n'est proposée dans cette relation duelle qui ne cesse d'empirer.

    La visite de Marguerite à l'hôpital psychiatrique débouchera sur la conclusion que "Marguerite a un comportement normal". La directrice n'a pas d'autre interlocuteur qu'elle même, devant une situation qu'elle pressent dramatique. La prise en compte de l'écoute, d’une approche psychologique, d'une compréhension de la souffrance n'existe pas à l'époque. La psychologie n'est encore qu'une nosographie qui sert à nouveau à classer les êtres.

     

    Comment mettre en scène un tel film?

     Au départ, le film se voulait un road movie où l'on allait dans différents endroits du parcours de Marguerite. Nous avons été très vite débordés par la matière historique et la richesse des témoignages. Ce film n'est qu'un premier jalon dans une histoire à poursuivre des prisons et de l'enfermement des mineurs.

    Le film s'est construit autour des lettres de Marguerite, du road Movie et de témoignages et d'éclairages sur Marguerite. Nous avons choisi de rester au plus près de l'histoire de Marguerite, et dans la deuxième partie du récit, nous avons suivi rigoureusement le déroulement de l'année 1950, c'est à dire, la dernière année de sa vie. D'une certaine façon, nous avons pris résolument le parti de Marguerite.

     Nous disposions de très peu de photos et d'aucune archive filmée sur la période 45- 50 en ce qui concerne les filles. D'une certaine façon cela nous a aidé en nous permettant de nous centrer sur les personnes et d'analyser le drame qui se jouait.

     On peut dire que ce film est un véritable travail d'équipe. Béatrice KOEPPEL a suivi attentivement l'évolution du film. Chacun des membres de l'équipe sentait qu'il y avait un enjeu à gagner au travers de cette histoire de Marguerite.

     

    Que retenez vous des témoignages que vous avez recueillis?

    Nous avons interrogé des pupilles de l'éducation surveillée de Cadillac et également de l'établissement de Brécourt, des anciennes pupilles en Bon Pasteur, quelques garçons placés en particulier à Saint Maurice. 

    Chaque itinéraire est particulier et c'est la principale leçon à en retenir. Chacun de ces témoins a une grande révolte intérieure, et dans cet itinéraire de placement qui lui a été imposé, il s'est proposé sa propre stratégie pour s'en sortir. On pourrait parler de résistance. Très souvent, les pupilles ont été très attentifs à ce que pouvait leur apporter la structure qui les accueillait, et ont pris ce qui pouvait leur servir, en particulier, la formation professionnelle pour pouvoir sortir et trouver du travail. Chacun d'entre eux a pris sur lui, a rentré les humiliations de ce parcours difficile pour se construire une stratégie bien personnelle.

    En bon Pasteur ou en établissement, les pupilles ont souvent été blessées et humiliés. Jacqueline placée en Bon Pasteur, qui raconte dans le film comment c'était difficile pour elle, en a retenu les chants religieux qui font maintenant le bonheur de sa retraite: elle fait partie de 2 chorales et tient l'orgue de sa paroisse. Monique, aimait les séances d’ “humilité" des bons Pasteur: faire son ouvrage pendant des heures sans lever les yeux. Dans le même temps, estimant qu'elle n'avait pas une qualification suffisante pour trouver du travail, elle refusa les repas au Bon Pasteur jusqu'à ce qu'on la fit passer dans une section où les travaux étaient plus difficiles et plus formateurs. 

    Plusieurs durent user de subterfuges pour arriver à sortir des établissements religieux le jour de leurs 21 ans.

     Une autre caractéristique des pupilles est la non compréhension de ce pourquoi elles étaient là. Nous avons gardé dans le film des séquences où elles racontent leur entrée dans les établissements et le traumatisme que cela a représenté pour elles. De vagabondage, d'abandon, de correction paternelle injustifiée, de situations familiales incestueuses ou dramatiques, elles se retrouvent dans des établissements très durs où leur passé et leur identité sont niés. A Cadillac, dans les soirées avec les éducatrices, on ne devait jamais évoquer le passé, c'était inscrit dans le règlement de l'établissement.

     Les pupilles dans ces établissements ont mené une vie parallèle, se sont fixés des objectifs et leur soif de survie fait que souvent elles s'en sont admirablement bien sorties. Elles ont souvent fait des choix décisifs au bon moment de leur vie, ont profité de rencontres qui se présentaient à elles et ont su dire non quand il fallait arrêter une situation.

    Les éducatrices?

    Les éducatrices gardent un souvenir très fort de Cadillac. Pour elles, c'était très dur, certaines filles étaient difficiles, certaines étaient des criminelles. Mais les circonstances de Cadillac, le fait que ce soit un établissement un peu délaissé créait des liens très forts entre les éducatrices et les pupilles, et des amitiés.

    Plusieurs éducatrices ont été très éprouvées par Cadillac mais elles gardent le souvenir de relations très privilégiées avec les filles, exceptionnelles qu'elles n'ont pas forcément retrouvées par la suite dans d'autres établissements.

    Y a t'il un "cas de Marguerite"?

    La façon de dire: "le cas de Marguerite", représente une façon spécifique, d'inspiration médicale, de considérer la personne en difficulté. Elle est d'emblée considérée dans une pathologie et dans un jugement. En aucun cas, on ne va essayer de considérer Marguerite dans son histoire et sa dynamique propre.

    L'histoire de Marguerite est de ce point de vue significatif. Marguerite est placée à Cadillac pour une raison grave: elle bat sa mère et la vole. D'un point de vue social, ce comportement est inacceptable. Si on se place du point de vue de Marguerite, ce comportement peut avoir une logique. Marguerite est dans une "impasse sans issue". Le fait que sa mère soit impotente ne lui offre comme perspective que de s'occuper de sa mère à vie. Qu'a t'elle en échange: une vie familiale délabrée sans possibilité d'accès au bonheur? Petite fille, elle doit tenir la maison, le rapport mère-fille s'est inversé. Quant à son Père il a abandonné Marguerite bébé. Marguerite se sent différente de ses camarades et rejetée par eux.

     

    Accusée, à Cadillac, Marguerite subit le jugement des autres pupilles et des éducatrices dans une alternative entre le bien et le mal. Sa soif de reconnaissance comme quelqu'un d'autre que la "fille d'une mère impotente" la pousse à jouer soit de la séduction: elle est tantôt" brillante", "elle en vient à supplanter l'éducatrice", soit elle s'inscrit dans le mal, elle continue de "voler sa mère" qui est dans un hospice près de Cadillac, elle "crie, casse des carreaux, tape dans sa porte". Dans les deux cas, Marguerite cherche une reconnaissance soit dans le bien soit dans le mal. Cela ne peut s'expliquer que dans le fait qu'il n'y a pas d'autres références qui lui soient proposées.

     

    La culpabilité qui pèse sur elle ne lui offre guère de possibilité de se distancier par rapport à sa situation. Dès lors son itinéraire va être fermé et ne va pas cesser d'empirer au fur à mesure qu’approche la perspective de ses 21 ans et de sa sortie de l'établissement. Le rapport éducatif est inscrit dans une relation éducatrice-pupille ou plutôt de rééducatrice qui doit amener la pupille au "bien" et à être une "mère de famille idéale" et d'une pupille qui, dans sa révolte, doit s'inscrire dans cet idéal imposé et de toute façon inaccessible.

     

    Marguerite et la directrice sont dans une sorte de mission impossible comme en témoigne les texte de Marguerite: "Passons à la solution d'être méritante dans 6 mois, facile à dire, plus difficile à faire". Marguerite exprime très bien cette demande d'être considérée autrement dans sa dernière lettre, quinze jour avant son suicide: "Rattachez moi à vous que je puisse croire que tout ce que je fait de bien ou de mal vous touche autrement que comme un échec dans vos travaux."

     

    La Directrice comme la pupille est enfermée dans un rôle et elle n'a pas, à l'époque, les connaissances, l'analyse, les moyens de "voir autrement" comme le dit Béatrice KOEPPEL. Ce qui frappe également, c'est la grande solitude de ce rapport que personne ne vient interroger. La modernité a apporté la distance que peut donner un travail d'équipe et la possibilité de la médiation.

    UNE SOUFFRANCE EXTRÊME, à propos du film Marguerite B.

     

      Le dossier de presse avec l'avant propos du livre       Voir la fiche du film             Voir le début du film en ligne      

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  • Commentaires

    1
    Garry
    Mercredi 29 Juin 2022 à 17:54

    Combien de talents faut-il à une personne le films https://cinemay.tube/comedie-dramatique/ pour comprendre notre monde...

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