• La violence ne cesse de se révéler!

    Le chemin qui mène à Marguerite.

    Intervention pour les 400 ans du Centre Hospitalier Psychiatrique de Cadillac (Gironde)

    Texte lu avant la projection du film "Marguerite B.:une histoire singulière" pour le colloque des 400 ans du CHP de Cadillac connu,en particulier pour son Unité pour Malade Difficile et son cimetière des oubliés (900 tombes d’«aliénés») classé Monument Historique en 2010. Marguerite B. était à l’honneur : plusieurs interventions l’ont évoquée, le film a été diffusé suivi d'un son et lumière sur la façade du Château en soirée : "Deux Marguerites ne font pas le printemps"

    C’est un exercice difficile pour un cinéaste de parler d’un film sans le dévoiler avant sa projection. Ma mission est donc de ménager le suspens. 

    Et donc, je vais vous raconter maintenant l’itinéraire qui nous a mené au film Marguerite B car la question de la violence est une problématique qui a nourri mon travail et suivi ma carrière. Il a été écrit dans un article publié dans le journal de psychologues : «Etat d’âme, état de violence : journal de bord»1 dont je vais vous citer quelques extraits au fur et à mesure de cette présentation

    Dans l‘association La CATHODE où j’ai longtemps travaillé, nous avons crée la collection UN FILM POUR EN PARLER où nous partions de groupes de parole de jeunes pour écrire un scénario avec eux et faire ce qu’on appelle des films de prévention destinés à faire parler les jeunes qui en seraient les spectateurs.

    Je vous lis un extrait du début de l’article qui va nous mener tout droit, 2 ou 3 ans après, à la réalisation du film Marguerite B. :

    « 28 Mars 95, Montrouge : Cela fait un mois que nous avons sorti le film sur la tentative de suicide « C’est dur de trouver les mots ». L’idée a été lancée de faire un film sur la violence. Pourquoi? Nous voulons aller plus loin sur la difficulté à communiquer, la difficulté de la parole. ...

    Je vais voir Bernard Zeiller de l’ADREMIH (Association de développement pour la recherche médico-psycho-sociale sur les inadaptations et les handicaps) dans les locaux classés Monuments historiques de l’Institut du Travail Social de Montrouge.

    Étonnant décor encombré de pianos qui font ressembler chaque pièce à un salon bourgeois. Un ascenseur antique m’emmène dans les étages. 2

    Et je rencontre un homme déjà âgé, qui va me raconter l’expérience du foyer de Vitry – Il s’agit d’un foyer de semi liberté avec une grande liberté éducative avec Jo Finder son directeur et Stanislas Tomkievitz dans les années 70 : Expérience décrite dans le livre « La prison c’est dehors » avec la participation des jeunes et le documentaire « Mémoire de sauvageons » – « L’équipe menait des expériences originales : les photogrammes3, le sociodrame4, et des dizaines de films réalisés avec les jeunes5. Je suis fasciné par l’énergie investie par les psy et les éducateurs dans cette expérience.

    Je ressors du bâtiment, me sentant un peu étranger à cet univers du traitement social de la délinquance. Ces pianos sont surréalistes. En claquant la porte de ma voiture, je ne réalise pas tout le poids de l’histoire dans l’approche de la violence. Je rejoindrais ce thème beaucoup plus tard, une fois le film terminé… »

    Nous en étions au troisième ou quatrième film de cette série, et nous avons créé un groupe de parole avec le jeunes à la Mission Locale de Saint Michel sur Orge avec la psychologue Jamila Latrech qui aimait proposer des activités aux jeunes les plus en difficulté de la Mission locale.

    Ce groupe était très sympathique, la parole circulait, mais nous en restions à quelque chose d’assez général qui ne donnerait pas grand chose dans un film. On pourrait dire que le groupe parlait mais ne disait rien

    Un groupe de pilotage accompagnait ce travail et dans une des réunions, ils nous ont fait le retour qu’il n’y avait pas assez de paroles de victimes.

    Nous avons donc lancé un questionnaire aux jeunes de toute la mission locale et sur 15 réponses, 11 jeunes concernés par des violences graves : Inceste, violences sexuelles violences parentales et conjugales…

    Nous avons donc poussé l’enquête beaucoup plus loin dans d’autres quartiers et ailleurs.

    À un moment du processus, 1 ou 2 journées où nous venions avec la caméra enregistrer des témoignages avec les jeunes qui le souhaitaient face à la caméra. C’est ainsi que nous avons découvert que dans le groupe de parole - ce groupe qui ne disait rien - presque la totalité des jeunes avait été concerné par de la violence : dont génocide, harcèlement scolaire, rejet dans des groupes, violence familiale … etc …

    FILMS EN LIGNE SUR LE HARCÈLEMENT, L'ÉDUCATION À LA NON VIOLENCE, LE CLIMAT SCOLAIRE

    Voir le film Comme une vague qui montre les témoignages recueillis lors du tournage  du film Etat de violence 

    Et le sentiment que nous avons eu et l’analyse que nous avons faite, c’était qu’il y avait un immense non dit et un silence autour de la violence et un déni collectif d’un phénomène qui nous parait dépasser de loin la seule délinquance repérée, nous pourrions parler de cécité.

    Celle-ci nous a semblé aussi rejoindre le travail institutionnel et de recherche. J’avais été à la bibliothèque de Vaucresson de la Protection Judiciaire de la Jeunesse avec 50 000 ouvrages, où avec beaucoup de peine, nous avons trouvé que très peu de récits et de témoignages d’itinéraire de délinquance ou de victimes, à part quelques best sellers comme l’astragale ou Papillon…

    « Nous avons trouvé deux textes, l’un dans « La prison c’est dehors » du toujours foyer de Vitry où l’on avait donné la parole aux jeunes, l’un d’entre eux écrivait : `

    « Que savez vous des merveilles rêvées,

    De mes peurs; mes courages de héros? 

    De mes désirs infinis et jamais avoués,

    De mes lumières, de mes chaos? »

    Dans la difficulté, il y a aussi la possibilité de rêver et de se projeter !

    « Personne ne semblait, non plus s’être posé la question du comment on se sort de la violence. 

    Sur le coin du bureau de la bibliothèque, quelques photocopies : je distingue un titre « itinéraires de vie … de jeunes délinquants »

    Cet article résume dans sa conclusion l’essentiel de la trajectoire du jeune en difficulté : 


    - difficultés familiales de tous ordres

    - difficulté à les surmonter par quelque moyen que ce soit.

    - délits

    - démêlées judiciaire

    Pour enrayer ce cercle vicieux :

    - du temps pour se reconstituer.

    - rencontres avec des adultes vécues positivement, plus loin, il est précisé : quand ces rencontres dépassent le cadre strictement professionnel, quand l’éducateur devient, par exemple ; à l’époque parrain d’un des enfants du ou de la pupille. »

    /…/

    « Mais c’est le livre de Béatrice Koeppel, Marguerite B : une jeune fille en maison de correction qui va bouleverser mes vagues certitudes. Béatrice Koeppel analyse dans ce livre les rapports de justice, des éducateurs, des institutions… (Le dossier de justice) qui ont entouré la vie de cette pupille de l’éducation surveillée dans les années 50.

     Marguerite B : une jeune fille en maison de correction -Editions hachette-1987 (épuisé mais se trouve d'occasion sur internet)

    Ces rapports sont le reflet d’idéologies surannées qui recouvrent littéralement Marguerite au point de la rendre imperceptible. L’éducation surveillée manque Marguerite, elle se suicidera.

    Les discours auxquels on s’accroche, qui ressemblent à des modes, les classements, les préjugés, les analyses trop faciles risquent de nous couper de l’écoute du jeune en difficulté. Le besoin de fixer ce qui n’est pourtant que du relationnel aboutit à une avalanche de mots, à des recettes théorisées avec toujours plus de certitudes qui sont le plus souvent mortes nées parce que le jugement est déjà contenu dans l’écriture. Le souvenir des erreurs passées devrait donner à réfléchir : en sommes nous encore imprégnés? »

    Après de multiples épisodes qu’il serait trop long de raconter, nous avons réalisé le film de fiction « Etat de violence » et avec tous les témoignages, nous avons réalisé le film « Comme une vague ! », qui aborde la question de l’expérience de la violence vécue, agie et contre soi : ces 3 critères sont souvent mélangés. Nous avons aussi abordé la thématique du comment on en sort ? Aussi par des histoires d’amour, tout simplement ou des réconciliations… Le film est commenté par le psycho sociologue Claude Lagrange, avec en bonus l’interview du Professeur Philippe Jeammet sur le paradoxe de l’adolescence.

    Pour conclure :

      • Depuis les choses ont évolué, grâce aux associations des victimes souvent et aussi grâce aux médias où de nombreuses victimes ont pu témoigner publiquement ce qui a libéré la parole autour de l’inceste, du harcèlement d’abord au travail, puis dans le couple, puis dans l’école, du viol et des agressions sexuelles

      • Mais, c’est surtout tout le travail mené autour de le Résilience par Boris Cyrulnik, Stanislas Tomkiewicz et d’autres, qui a pris en compte cette dimension de parcours de vie et de la dynamique qui l’accompagne dans toute sa difficulté.6

      • Et pourtant, Marguerite B. continuera à nous interroger avec tout son mystère7

    2 Comme je l’ai dit lors de la présentation, ces pianos connotaient pour moi une « bonne éducation » dans une « bonne famille » et par conséquent une lecture idéologique de la violence à un moment de l’histoire. La problématique de comment est pensée la violence à un moment donné de l’histoire devenait un enjeu. Le livre « Marguerite B. : une jeune fille en maison de correction » de Béatrice Koeppel a permis ce travail de savoir comment une personne est « lue » à un moment historique donné.

    3 Le photogramme consistait à prendre des photos du jeune qui venait d’arriver au Centre sous toutes sortes d’angles pour lui demander celle qui lui plaisait le plus (Le psychiatre devait développer les pellicules et tirer les photos la nuit !)

    4 Dans le sociodrame, quand une difficulté survenait dans l’établissement, les jeunes et le personnel rejouaient la situation en changeant les rôles, des jeunes pouvait prendre le rôle du directeur, des éducateurs et des psys …

    5 Je ne pense pas que ce soit exagéré de dire que quand un jeune n’allait pas bien au foyer de Vitry, on lui disait : ‘Bon, va faire un film ! »

    6 Voir à ce sujet, le travail que nous avons faits après le film Marguerite B. autour de la résilience :

    http://lacathode.eklablog.fr/la-question-d-une-resilience-collective-par-jean-marcel-koffi-et-gabri-a103154821

    et le DVD « Cicatrices : résiliences » : http://lacathode.eklablog.fr/-a58069707

    7 En postscriptum, par rapport à mon intervention lors du débat à Cadillac sur la « crise » que vivait Marguerite et de l’ « impasse » dans laquelle elle se trouvait, se mettant en échec en permanence avec un manque total de «perspectives » pour sa sortie alors qu’elle devait sortir de l’IPES à peine 6 mois après son suicide. Je peux rajouter qu’il est probable que Marguerite ne se serait sans doute pas retrouvée dans cette situation aujourd’hui, car elle aurait sans doute été confiée à sa tante (« tiers digne de confiance » en terme juridique) si celle-ci vivait encore à l’époque et elle aurait été certainement suivie par un ou une psychologue où elle aurait pu parler et évoquer ce qu’elle dit si bien dans ses lettres à la Directrice.

    Ainsi, nous pouvons penser que ce duel dramatique entre la Directrice qui utilise tous les moyens pour que Marguerite retombe sur ses pieds et s’en sorte et Marguerite qui se met en échec et en difficulté déjouant toutes ces stratégies bienveillantes, n’aurait pas eu lieu.

    La Directrice se retrouve, elle-même dans une grande solitude face à Marguerite sans soutien, ses éducatrices étant jeunes et découvrant un métier en création à ce moment là. Sa hiérarchie la laisse très seule, privilégiant la création de l’IPES pilote de Brécourt en région parisienne. Il est possible d’émettre l’hypothèse que Mme F. aurait eu plus de soutien aujourd’hui, il y aurait du « tiers » et que cette situation n’aurait pas pris ce tournant tragique ?

    Qui peut vraiment le dire ? Je m’inspire de l’interview de Jean-Pierre Rosenczveig dans le film pour tisser cette hypothèse plus optimiste.

     

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  • Commentaires

    1
    Adri Vimo
    Mardi 4 Janvier 2022 à 12:21

    Entourez-vous uniquement de personnes qui vous tireront vers le haut. C'est juste que la vie est déjà pleine de gens qui veulent vous tirer vers le bas. dit l'acteur du https://filmstreaming1.video film.

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